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Justice coupable de lenteurs                           

 

 

29/08/06
Justice Coupable lenteur
           
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable », stipule la Convention européenne des droits de l'homme. Mais la France ne brille guère par la célérité de sa justice.
De 1999 à 2005, la France a été condamnée 220 fois par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pour non-respect des « délais raisonnables de jugement ». Notre pays, qui a ratifié la Convention européenne des droits de l'homme en 1974, est le deuxième État le plus sanctionné en la matière, après l'Italie (906 condamnations). Un comble pour la patrie des droits de l'homme.
Une situation que les pouvoirs publics semblent prendre au sérieux puisque la loi quinquennale d'orientation et de programmation pour la justice de 2002 précise, prévisions chiffrées à l'appui, que « les moyens des juridictions seront développés afin de réduire les délais de jugement et les stocks d'affaires en attente ».
             
Depuis, la question reste préoccupante même si l'on constate une très légère diminution des délais au niveau civil, tandis que le juge administratif paraît avoir fait quelques petits progrès.
Sur le plan civil (droits de la famille, troubles de voisinage, litige avec un commerçant...), les parties ont parfois intérêt à faire traîner l'affaire. Sans compter les délais inhérents aux règles de procédure. En outre, avec un nombre d'affaires nouvelles en hausse constante, et sachant que 60 % des contentieux judiciaires sont civils, les juges ont quelquefois du mal à résorber leur stock de dossiers.
                        
« On n'a jamais été autant critiqués et autant saisis ! », s'exclame une magistrate. Néanmoins, le juge n'est pas totalement impuissant : il a la possibilité d'imposer aux avocats un délai pour rendre leurs conclusions. Et, depuis la récente réforme des procédures civiles, il est tenu de déterminer une date de délibération. Faute de quoi, il doit expliquer la raison pour laquelle il ne rend pas sa décision à la date fixée.
       
Pratique
Les voies de recours
Devant le juge
     
-Justice civile et pénale
 Si la durée excessive de la procédure concerne un procès civil ou pénal, la compétence appartient au juge judiciaire (recours classique de première instance, d'appel puis, éventuellement, en cassation). L'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire régit la responsabilité de l'État du fait du dysfonctionnement de la justice. L'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme est relatif au délai raisonnable de jugement.

-Justice administrative (litiges avec l'administration)
Si vous remettez en cause le fonctionnement de la justice administrative, adressez-vous directement au Conseil d'État (art. R-311 du code de justice administrative) pour invoquer l'article 6 § 1 de la CEDH. Un décret (n° 2005-1586 du 19/12/05) a créé un chef de mission d'inspection des juridictions administratives chargé d'intervenir pour prévenir les durées excessives des procédures. Tout justiciable peut saisir cette personne en cours de procédure devant le tribunal administratif ou la cour d'appel administrative.
     
Devant la Cour européenne des droits de l'homme
 
Toutes les voies de recours internes doivent avoir été épuisées. En clair, il faut d'abord s'adresser aux juridictions nationales.
                  
- La requête doit être envoyée par écrit dans un délai de 6 mois à compter de la date de la décision interne définitive. Formulaire disponible sur le site de la CEDH (http://www. echr.coe.int/echr).
              
Toujours plus d'affaires à traiter
      
Les magistrats peuvent aussi prendre une part plus active dans les procès par le biais des contrats d'objectifs. En témoigne Gracieuse Lacoste, magistrate à la cour d'appel de Pau (64). Elle s'est accordée avec les six avoués de cette cour pour traiter plus vite certaines affaires, afin de réserver du temps aux dossiers complexes et réduire ainsi les délais. En contrepartie, le ministère de la Justice injecte plus de moyens humains et/ou financiers dans la juridiction.
        
Ces contrats d'objectifs sont-ils efficaces sur le long terme ? Julien Ferrand, juge aux affaires familiales de Lyon (69), n'en est pas convaincu. « Pour nous, l'urgence concerne les pré divorces. Il fallait attendre sept mois en moyenne entre le dépôt du dossier et sa saisine.
                              
Depuis, on a fait un contrat d'objectif et pu bénéficier de deux juges supplémentaires pendant six mois. Le délai est ainsi passé de sept à trois mois.» Et maintenant ? « La solution a été satisfaisante sur le moment mais il entre toujours plus d'affaires que nous ne pouvons en sortir. Sur le long terme, déplore-t-il, les délais risquent à nouveau de se creuser.»
                                    
Au niveau pénal (délits, crimes...), les choses sont plus complexes. Face à des dossiers souvent très sensibles, il est parfois difficile d'instruire et de juger une affaire rapidement. Pourtant, comme le rappelle Jean-Pascal Thomasset, secrétaire général de l'Inavem (Institut d'aide aux victimes et de médiation), la loi du 15 juin 2000 « oblige le juge d'instruction à un délai prévisible d'achèvement des procédures de dix-huit mois maximum ».
                                       
Reste qu'« il peut s'écouler soixante-quatre mois entre le dépôt d'une plainte et la fin d'une procédure ». Reconnaissant que « la procédure de comparution immédiate s'est bien développée », il regrette néanmoins que « la procédure d'appel introduite pour les décisions d'assisses n'ait donné lieu à aucune création de magistrat ou de greffe ». Au final, pour Jean-Pascal Thomasset, la « volonté législative manque d'écho sur le terrain ».
                                        
Autre point noir du procès judiciaire : l'expertise. Selon des magistrats interrogés, les meilleurs experts sont surchargés, tandis que les autres sont peu sollicités. Pas de quoi accélérer une procédure.
                          
Les juges administratifs étouffent
      
Côté justice administrative (litiges avec l'administration : impôts, mairie...), c'est l'explosion des contentieux qui poserait problème. En dépit de bons rapports de productivité des magistrats - en 2002, un juge administratif jugeait en moyenne 209 affaires contre 261 en 2005 - et, là aussi, de contrats d'objectifs grâce auxquels plus de cent postes de magistrats et autant de greffiers ont été créés, la croissance des dépôts de dossiers demeure très forte (+ 31 % en trois ans). 
     
De plus, selon Bernard Evin, président du syndicat de la juridiction administrative, « quand on parle de délais de jugement, on fait une moyenne qui cache des disparités géographiques et par matières ». Ainsi, la multiplication des procédures rapides (référés) et le fait que certains magistrats s'appliquent à régler les affaires nouvelles en négligeant les vieux dossiers permettent de faire baisser artificiellement la moyenne.
    
Quoi qu'il en soit, le nombre de requêtes relatives aux délais de jugement déposées devant la Cour européenne ne cesse d'augmenter.
                            
« Si une amélioration en ce domaine n'intervient pas dans les années qui viennent, la Cour, submergée par des affaires portées devant elle sur la base de l'exigence du "délai raisonnable", ne pourra pas assurer sa mission de sauvegarde des droits de l'homme au moins aussi essentiels, tels que le droit à la vie, à la dignité, à la liberté d'expression... », s'alarme la Commission européenne pour l'efficacité de la justice.
                  
 En effet, près de 85 000 requêtes sont pendantes devant la CEDH et on voit mal comment celle-ci pourrait bien rendre ses décisions dans un délai raisonnable. Selon Laurent Pettiti, avocat au barreau de Paris et spécialiste de la Convention européenne des droits de l'homme, il faudrait patienter quatre bonnes années avant de voir un dossier tranché.
 À charge pour le requérant de s'armer de patience. 

Marie Castets